ULTRA-PADDLE RAID
Calvi- St Raphaël
15-16 mai 2022
L’ Invitation surprise
Fin février,
Luc Pénalba, un vieil ami de mon époque du windsurf m’appelle un soir pour m’annoncer que sa coéquipière et amie Ingrid Ulrich ne pourra peut-être pas s’engager avec lui comme prévu à cause de son travail.

Je lui réponds que je suis dans une phase de reconstruction de ma société avec des choix importants à prendre notamment, à ce moment-là, ma séparation de mes locaux de Bidart. Donc, je pourrai avoir un peu plus de temps et ça fait un moment que je voulais revenir sur ce genre de challenge-aventure dont j’étais friand lors de ma carrière de compétiteurs pro dans le stand un Paddle de 2008 à 2013. Cependant, je lui rappelle que je maintien depuis mon arrêt des compétitions en 2014, des entraînements réguliers dans divers sports, mais que mon dernier Raid en solo date de 2011 que ma dernière petite balade sportive en SUP racing remonte bien 10 mois auparavant ! Pour couronner le tout, je suis blessé avec des micros-fissures au tendon sous-épineux de l’épaule droite détecté à l’écho une semaine auparavant.
Je ne pourrai donc pas ramer avant le challenge de mai pour être sûr d’être bien réparé mais ne suis en aucun inquiet de relever le défi !


Lui me partage l’avoir fait déjà 4 fois mais en mode Paddle Raid sans être trop touché à l’arrivée*. (* Le mode Paddle-Raid est un Raid avec plusieurs rameurs engagés, sans objectif de temps sur cette traversée.) Que c’est long bien sûr mais qu’il a toujours bouclé sans être forcément touché à la fin. L’aventure est extraordinaire, l’organisation est rodée avec des commissaires de course sur chaque bateaux, une kiné-ostéo, deux navigateurs qui prendraient la barre du navire pour se relayer et, si je valide ma présence, il serait ravi de le faire en binôme avec moi pour lancer cette première édition du mode « Ultra-Paddle Raid ».
Je lui demande de me laisser une journée de réflexion pour voir vraiment si je peux me permettre de prendre ce temps sur mon planning pro puis le rappel 10 minutes après en lui disant :
- « Écoutes, merci d’avoir pensé à moi ! Pourquoi pas ! Si je ne prends pas le temps pour, personne ne le fera pour moi, comptes sur moi ! »
15 jours après, il me rappel : « Ingrid ne peut pas déplacer ses créneaux professionnels, le 1er Ultra-Raid avec temps pour référence sera de 34 heures à battre…
Pour revenir sur le pourquoi du comment de cette invitation ; Luc est un ami des Alpes Maritimes de bien trente années. Son métier est dans le bâtiment en tant que maçon d’art et de la pierre, mais dans notre histoire commune, un ancien pro de Windsurf amateur de boxe anglaise.
Dans les années 1993-1995, lorsque j’étais adolescent et que la passion du Windsurf m’avait déjà piqué... À chacun de ses passages à l’Almanarre, il nous comptait ses périples à Hawaï dans les grosses vagues aux côtés des idoles que nous voyons à cette époque dans les magazines. J’avoue avoir rêvé une paire de fois, c’était très inspirant pour un petit gars des collines varoises et cela me conforter à l’époque de la voie que je voulais prendre pour vivre à mon tour ces périples !
Le timing est lancé.
Un seul mois pour la préparation physique, ne pouvant travailler le haut du corps pour reposer mon épaule, je m’entraîne le matin tôt et certains soirs après mes obligations professionnels à vélo en montagne que je combine à des trails et des bains d’eaux froides pour jouer sur la résistance mentale.
J’ai la chance d’avoir le complexe sportif KINKA à 5 minutes de chez moi, je travaille sur des circuits complets de cardio combinés à la musculation puis en fin de séance, place à la rééducation de l’épaule. Elle me sera douloureuse jusqu’au départ et encore un peu aujourd’hui.
4 semaines avant la traversée
Lors d’un déplacement d’une semaine dans le var, j’emporte une partie de mes collections pour l’ouverture de la saison 2022 du MAHALO Almanarre.. J’enchaîne quelques rendez-vous et commence à lancer à des proches que je devrais me lancer sur une traversée Corse-Continent, mais sans pousser de trop la discussion car mon esprit était fixé sur mon planning pro et tout ce qui m’attendait en rentrant. La semaine terminée je rentre au Pays basque et sur la route de retour, je reçois une opportunité d’installer ma marque dans une boutique bien placée dans le centre de St-Jean-de-Luz, qui temporairement, n’en avait plus.
Un salon de coiffure où, en 15 jours, nous devions tout relooker, repeindre, adapter un nouveau Shop avec un déménagement / Agencement / Gestions des commandes en cours / Différents process pour relancer des productions / Sourcer un nouveau team (...)
De quoi vous dire que je n’ai pas manqué de travails et ma préparation de sommeils courts a débutée à ce moment-là.


Ci-dessus : AVANT
À droite: 15 jours après
Le samedi 7 mai, nous ouvrons le shop. Luc de passage sur Hossegor avec sa femme Sophie viennent me voir à la boutique le 10 mai pour commencer à échanger sur cette traversée qui arrive à grand pas ! Perso, je suis encore dans mon ouverture et l’énergie que cela m’a demandé. Certains échanges bloquent entre nous sur la vision de comment aborder cette distance en ayant un rythme cadencé sur 200 kms, l’alimentation et l’hydratation durant le parcours. ... Surtout pour deux rameurs qui n’ont jamais ramés ensemble ! (Rien que sur ce point c’était un challenge de taille pour une traversée !). Je m’appuie sur ses sensations pour essayer de décortiquer son niveau de rame. Je décèle un bon sportif, explosif et résistant mais qui n’est jamais encore aller dépasser ses limites mentales et corporels que vivent les ultras-raideurs.
Sur la préparation du Raid à distance, dès le départ Luc était dans le déni sur le fait que sur cette distance des rameurs puissent tenir une bonne cadence et cela même après toutes nos discussions et expériences de ma part sur mon passé de rameur pro avec certains raids connus que j’avais bouclé. Effectivement je ne fais plus de compétitions mais celles-ci, ont gérées un partie de ma vie en élite dans divers sports et disciplines plus de 25 ans dans 3 fédérations et les règles de courses qui les accompagnent. Je suis un compétiteur, je prends un départ pour la gagne à chaque fois et lorsque je perds, je veux être aller au bout de moi et m’enrichir des expériences vécues.
« Je suis un diesel, je me connais, le parcours je l’ai fait 4 fois et je suis toujours arrivé frais. »L.P
Faire 10 / 15 / 30 kms demandent un effort physique considérable si on décide de mettre une cadence et dans le foncier. Les spécialistes vous diront que la préparation physique et mental ont une place importante pour la réussite de ses objectifs. Nous commencions à se partager les tactiques à travailler, les changements de quarts, les temps de rame au départ plutôt court pour ne pas puiser dans les réserves mais surtout, que la réussite d’une course se passe à 70% au départ quel que soit la distance. Tout ce que j’avançais, avec des conseils pris auprès de ma team comme Médéric Berthe, vainqueur en prône de la Catalina Classic en 2019 (épreuve mythique internationale de prône en Californie) et Stéphane Leblond spécialiste de l’ultra Raid en SUP en tandem avec Franck Siegel. Luc n'en démordait toujours pas de la possibilité de ces changements courts, en cadence et en tactique ...
Ça commençait à être dur pour moi de le convaincre, qu’il écoute leurs expériences combinées à la mienne, rien n’y faisait mais le billet d’avion était pris, mon planning ultra-chargé était modifié et le défi de relier la Corse mon île de cœur au continent était toujours bien présent.
Vendredi 13, On rentre dans le vif du SUJET !
Je reçois ma planche Fanatic pour l’évent en retard. J’appelle directement Luc en lui demandant s’il est toujours dans le coin ? Il me rétorque que non, il est sur la route vers La Rochelle avant de redescendre sur Nice. Je devrai m’adapter avec sa planche mais quand il m’annonce la largeur et le modèle, je transpire un peu.
Évidemment s’il y a du vent, si ça bouge vraiment, ça sera pas mal et puis pas le choix. Je prends tout de même ma rame DOLLO, j’opte pour une réglable car selon l’épaisseur de la planche, cela à une incidence sur la hauteur du manche pour avoir une longueur adaptée.
Côté boulot, c’est le cas de le dire, j’ai la tête sous l’eau... Je décolle à 12H30, arrêt à Lyon suivi du vol de Nice pour 17h30. Je retrouve Luc et au bout de 20 minutes de discussions diverses dans les bouchons Niçois, je lui pose la question :
- « Alors les courses c’est bon ? »
Il me répond qu’il n’a pas eu le temps de checker la liste et que c’est Casino notre sponsors, on a des plats préparés et de la Cristalline... Ouf… La nourriture est le principal fuel du corps surtout dans ces défis... Il est hors de question que l’on mange ces plats, on file vite dans un supermarché, je m’attaque aux courses.
Une fois les courses et achats de dernières minutes sur le plan sécurité en notre possession, nous rejoignons le quai de départ avec la team-mer. Je rencontre Pierre-Jean le capitaine, Charley, Sylvie et John les commissaires de courses présents à bord. Nous levons l’ancre avec l’agréable surprise d’un vent de 18-25 nœuds SIDE-shore parfait pour la traversée et voir les côtes s’éloigner avec la nuit tombante.

Dès le départ, mon cerveau se met sur off ! J’essaie de garder les discussions en court mais elles deviennent vite amphibies.... Moi qui n’ai jamais le mal de mer, je mange une banane et la ressort comme si il fallait que je vomisse ces derniers jours de stress avant de m’envoler pour une nuit dans les bras de Morphée balloté par les flots.
Une nuit de sommeil qui a plus que doublé mes nuits habituelles. Le matin arrive vite, je me réveille aux aurores dans une forme olympique. La mer m’a requinquée, j’ai dormi comme un bébé ! Les dauphins ne tardent pas à venir jouer avec l’étrave du bateau, des baleines au loin crachent l’air, le vent est tombé mais le clapotis reste.
La cote de l’Île de Beauté apparaît au loin. Je ne suis jamais arrivé par la mer près de ces côtes, les montagnes surplombent la mer avec certaines encore enneigées, juste magnifique.

Calvi les montagnes au-dessus de la Méditerranée.

Nous sommes le 14 mai, il est 10h00, la chaleur est au rendez-vous et après plus de 12 heures de traversée je propose à l’équipe de jeter les amarres dans la baie pour profiter de la vue et boire un apéro pour fêter notre arrivée.
Le cadre est magique la citadelle surplombe la mer sur notre droite, devant nous des plages blanches entourées de pins, une eau turquoise même à 16°/17° me donne l’envie d’aller nager jusqu’à la plage. Moments de détente incroyable avant de retrouver les autres équipages et l’organisation au Port la journée.

A peine débarqué, je me présente aux autres équipes et bénévoles, on échange sur les règles et certains « coaks » du règlement qui ne sont pas adaptés à mon sens à l’ultra-race.
⁃ 1/ La possibilité de drafter derrière les bateaux jours comme nuit de A à Z.
⁃ 2/ Limitation de longueurs de planches à 14´
⁃ 3/ Des limites de changements de rameurs qui réduisent la capacité des équipes sur le plan tactique de leurs courses.
⁃ 4/ L’heure de départ de l’Ultra à 8h00, bien trop tard vis à vis du départ à 6H00 du Paddle Raid qui lui, se voit plus cool avec plusieurs rameurs pour boucler.
⁃ 5/ Le départ de plage pour l’Ultra de 200 kms en mode Beach- race.
Je comprends que c’est la première édition, que l’organisation n’a pas de reculs ni réellement pris de conseils spécifiques de sportifs issues d’ultra mais plutôt de sportifs de courtes et moyennes distances.
La règle de la limite de changement sera retirée mais les autres règles ne bougeront pas. Je ne relève pas, cependant j’annonce à mon équipe et aux commissaires de course que je ne drafterai pas, car pour moi c’est de la triche. Je ne viens pas me dépasser pour glisser derrière un bateau pour sentir le fuel pendant 190 kms ... Chacun fera comme il veut.
Vers 16h00, je commence à sortir la planche de la housse et demande à Luc de me sortir l’aileron puis sa rame pour commencer à vérifier et préparer le matos complet. Les surprises s’enchaînent, qui je l’avoue, commencent à me faire bouillir de l’intérieur et me faire sincèrement douter.... Luc me sort une pelle à tarte d’ailerons... Côté glisse, sur du plat, entre la planche et l’aileron, on est pas du tout avantagé si les conditions sont calmes !. Puis le pompon, il me sort sa rame réglable en plastique datant bien de 2010 pour ce challenge…
Ahaha, À ce moment-là je me dis :« Putain ! Dans quoi je me suis embarqué ? !! »
Je décide de quitter le quai, aller prendre l’air dans Calvi. Visiter la citadelle, acheter des souvenirs pour ma famille. Je me détends en me disant : « Bon gros, tu vas en chier mais le challenge de traverser la Méditerranée et se retrouver seul face à un horizon à l’infinie, ramer la nuit en mer en vaut la chandelle ! Peut-être que tu vas ramer à 200% de ton temps pour tenir la cadence ... Mais en même temps j’ai relevé et affronté bien nombres de challenges dans ma vie ; alors feu on reste concentré.
Je rentre au bateau, choppe vite Luc et lui dit entre un repas et une réunion orga : - « Luc ! On va à l’eau même 10 minutes que je vois comment tu t’en sors. ». Ok, là, la surprise n’en été plus une…Très peu de technique de rame voir pas la bonne pour s’attaquer avec moi dans une traversée... La seule chance était qu’il apprenne dans le challenge...On est loin à ce moment-là de se dire que l’on va faire un temps et pour moi d’avoir un compère de rame sur lequel je vais pouvoir m’appuyer. Tout l’équipage part manger sur le port, je reste sur le bateau pour commencer à m’alimenter correctement en vue de l’effort qui m’attendait le lendemain. La nuit me porte conseil et me fait prendre le choix de jouer un autre tableau, celui de lui faire comprendre, que tout ce que j’avais prédit aller arriver. Que ça soit sur la nutrition, l’hydratation, l’importance de mettre la gouache au départ, tenir la cadence ....

Le départ :
8h30, La chaleur est déjà présente, l’air est lourd, on sent que la journée va être longue sous la chaleur mais de ce côté-là nous sommes aidés grâce à mes vêtements techniques Waterman Life.
Au départ je voulais tourner toutes les 30 minutes afin de prendre le maximum de cardio sans toucher dans le foncier mais j’ai vu que ça bloquer avec mon co-équipier, du coup on a agrandi nos quarts de rame d’1h30 chacun mais toujours avec une cadence.
Luc sort du port pour rejoindre la plage de départ. Je lui répète : « On met tout au départ ! Lâches rien ! Quitte à changer de quarts rapidement et que je prenne la suite. »

De fait que sa cadence soit bien plus d’un nœud de moyenne en dessous de la mienne, j’avais émis l’idée que l’on saute dans l’eau légèrement en avance pour se glisser sur la planche ; Cela permettrait de gagner des secondes qui font des minutes à la fin sur une longue distance. Une fois de plus mon idée file dans les cordes... Mais sur ce point, je le comprends. Nous n’avons pas répété en amont et l’idée de se jeter du bateau en plein milieu de la Méditerranée jour comme nuit, ce n’est pas vraiment rassurant pour une première… On part donc sur l’option de se servir du petit bateau de survie comme axe de changement.
Comme un boxeur j’ai besoin de m’isoler dans le cockpit avant mon premier quart , chauffer mes muscles, me concentrer, lâcher l’animal en moi. Je pense à ma femme, ma fille je met Hegoak en musique de fond suivie d’autres chants basques qui me montent en température.
10h00, quand je sors de la cabine, je constate la distance que nous ont mis les premiers… Et là, mon côté compétiteur réveil une colère intérieure, le feu commence à bruler en moi. Luc s’est vraiment préservé, il n’a pas senti de mettre la cadence en vue de ce qui l’attendait et de cette façon, tous nos échanges en amont. Le premier changement arrive, un échec, on se rate et on perd la pagaie...

À l’intérieur de moi, les nerfs montent, ça va exploser ! Je rentre en course comme sur le départ d’une course de moyenne distance, à fond ! Maintenant, faut tout faire pour remonter le plus possible à chacun de mes quarts ! J’ai bien analysé la cadence et la technique des leaders Julien Castel et Jean Frédéric Tillier, ils sont sur la même fréquence que la mienne, l’objectif en vue pour un Ultra-Paddle-Raid en mode guerrier !
Le soleil est écrasant, mon rythme est présent et ma volonté sait ce qui l’attend, je vois que je remonte petit à petit mais là distance prise par les premiers est bien trop importante pour les rattraper. Je boue… Je râle, je m’énerve, je gueule…
Le bateau comité est un gros Yatch à moteur qui était censé faire des allers-retours entre les équipages et prendre des images avec un caméraman spécialiste du drone, Vidéo Ciel. Au bout d’une heure de rame (et de nerfs), je vois arriver à block ce gros navire vers moi pour prendre des images… Dans l’effort que je donne, s’il me passe devant avec les vagues qui l’accompagnent, je vais les subir de face, les unes après les autres, je vais devoir encaisser puis relancer entre chacune d’entre elles alors que je suis en plein effort... Le résultat sera soit d’être déséquilibré sur mes appuis, donc tomber et risquer de me choper même une hydrocution entre la chaleur de mon corps et l’eau à 16/17• ( cela m’est déjà arrivé et pour reprendre c’est compliqué...). Je leur fais donc signe de passer derrière moi avec des gestes répétés avec la rame pour qu’ils comprennent. Lorsqu’ils arrivent près de moi ils me contournent mais je ne les reverrai plus jamais de la traversée, peut-être ont-ils pris autrement ma réaction à distance ?
À la fin de mon quart, je craque... Faut que je me fasse entendre, je mise pour la sincérité et mon ressentis en poussant une hurlante contre mon Lucky... Je n’ai pas de filtres mais faut que ça sorte ! Il nous reste + de 180 kms à parcourir à la rame, faut rentrer dans la fusion d’une équipe sinon je vais subir un max. Mes paroles le touchent et le réveille dans le bon sens. Il entend mes doléances sur l’alimentation, l’hydratation et les plans de courses et rentre enfin dans la course ! Je me mets donc à le coacher sur la technique, ça y est on peut commencer peut-être à y croire ! On rentre enfin dans une fusion d’équipe « Tous pour un et un pour tous ! » et l’équipage aussi par la même occasion nous aides lors de nos pauses sur le bateau, l’ambiance est détendue et conviviale, ils nous préparent les plats et mettent à disposition tout ce que l’on a besoin.

Dès fois mon esprit s’envole, je me mets à penser que les nuages qui se reflètent tellement dans l’eau en deviennent prisonniers des hauts fonds. Ramer dans une ambiance aussi calme en pleine mer est incroyable. Ne plus distinguer la mer des reflets des nuages en fait perdre des fois l’équilibre, un peu comme si on avait fumer un joint. Les jets de baleines au loin, les dauphins de passages comme pour nous motiver, les poissons lunes, tortues... Féerique dans la souffrance. Depuis mon premier quart je fais mettre à Charley (ou Pierre-Jean) une vitesse au moteur variant de 4,2 à 4,6 nœuds sur mes quarts d’1H30 à 2H00, je me challenge au bateau comme si c’était un Sprint-Partner, une moyenne que je garderai jusqu’au bout de l’aventure.
Plus on enchaine les quarts d’1H30, plus les maux physiques arrivent. La répétition des mouvements de rames debout sur une planche en restant statique, engourdissent le bas du corps due à la proprioception intensive. Cela crée des tensions musculaires qui faut gérer dans les mollets et les pieds. Ces maux rajoutés à celles tentions des lombaires, du dos, coudes et épaules + les mains dont le frottement du carbone sur la peau créer des cales à vif de la chaire.

Sophie Nave s’occupe de nous pour des séances de stretchings régulièrement après nos quarts.
Petit à petit, la lune se lève dans notre dos face à un coucher de soleil aussi énorme qu’elle ! Il se cache bien derrière cet horizon à l’infinie sur lequel nous nous dirigeons depuis plus d’une dizaine d’heures avec des couleurs orangées magnifiques puis petit à petit la lune lui succède bien. À certains moments, l’esprit vogue dans tous les sens, il nous renvoie dans notre être profond, il fait rejaillir des flashs, il ouvre une communion avec nos personnes manquantes disparues. L’esprit couvre la douleur en injectant des « piqûres d’adrénaline » par l’émotion. On fait le tour de soi-même et des choses de la vie, on replace les importances à leurs places. On se juge sur des situations passées, on règle nos problèmes, on se confesse à la nature.

Dans le passé, j’ai participé de nombreuses courses professionnelles de longues distances en SUP, certaines prestigieuses que ça soit sur le territoire français ou à l’étrangers. D’autres en challenges aventuriers à l’entraînements aussi intenses dans les rivières du Verdon en 2008. Mais faut avouer que de voir évoluer du relief au fur et à mesure que l’on avance est totalement différent sur le plan psychique que de ne pas en apercevoir pendant presque 24h, où tu rames jour comme nuit sans apercevoir d’indications d’avancées sur parcours.
Au sunset, lors de mon quart, les satellites ne répondaient plus fiablement aux routeurs du bateau. L’équipe commençait à me partager que finalement nous ne sommes pas sur le bon cap… Selon les satellites nous nous dirigions trop à l’Est vers les îles de Hyères, nous devions donc rétablir le cap et abattre vers ST Raphaël. Mais tous les autres navires étaient sur le même axe que nous, étions tous dans l'erreur ?
Une fois posé dans le bateau, je me réfère à Pierre-Jean le capitaine et propriétaire du bateau, et lui pose la question :
- « Pourquoi prenons-nous un autre cap des autres bateaux qui sont dans l’axe ? On est second d’une longue distance sur la troisième équipe, les lumières de leur bateau sont même sorties du panorama, ils ne pourront plus nous remonter, c’est impossible. » Il me montre que ses deux routeurs déraillent due à la mauvaise connexion avec les satellites ! L’un dans la cabine et l’autre sur le pont qui ne donnent pas le même tracé, P-J m’assure que le bon routeur est celui du pont, que ça lui est déjà arrivé, faudra donc suivre le routeur du pont et rétablir le cap en abattant.
Un peu inquiet que ce phénomène arrive à nous faire prendre un mauvais cap et rajouter sensiblement de la distance. L’Équipe 1 est loin devant, la 3 loin derrière. Un choix à l’aveuglette qui peut jouer en notre faveur comme nous desservir… Pour se rassurer, on essaie de joindre le bateau mère par appels VHF sans succès. L’idée surgit même que ça pourrait être les autres qui se trompent et que nous pourrions le long de la nuit récupérer tactiquement la 1ère place…

Ce phénomène nous fera rajouter des kilomètres de rame sous le vent de notre destination que l’on paiera le lendemain avec le vent de face près des côtes de St Raphaël après s’être rendu compte (trop tard) de la remise en service et des réceptions satellites de ce mauvais choix. Nous pensons toujours être deuxième, au pire nous tomberons face à face avec la troisième équipe pour nous livrer un combat jusqu’à l’arrivée mais vu la distance à la nuit, cela ne devrait pas arriver. Nous tentons plusieurs contacts VHF toute la nuit pour joindre le bateau comité pour nous informer des balises. Nous ne les joindrons pas de la traversée, personne ne s’est visiblement inquiété de notre changement de cap soudain ! Petit à petit on recadre le cap mais on a perdu beaucoup de temps et déjà que la distance est longue on s’est même payé le luxe d’en rajouter !
Fatigue, manque de sommeil.
On ne dort pas, le corps commence à devenir comme de l’acier... Dans la nuit, je prends même des douches bouillantes en rentrant de mes quarts pour ne pas les refroidir. Je m’alimente tout le temps par des petites portions variées et j’essaie en fin de pause de me caler 10/15 minutes pour mettre sur off la machine avant de repartir . Je suis fier de mon ami, toute la journée il a joué le jeu de ne pas se faciliter son Raid en suivant l’aspiration créée par la vitesse du bateau mais de ramer pour s’offrir la signature d’une vraie traversée. Quelquefois, on l’entendait hurler de bonheur d’être en plein milieu de la Méditerranée à la rame ! Mais nous allons rentrer dans la nuit profonde, Luc a progressé dans sa technique de rame mais n’a pas mon entraînement. Pour des raisons de sécurités, nous avons décidés de limiter ses efforts pour qu’il aille au bout de cette aventure. Il passe derrière le bateau et ressent direct cette facilité à tenir une cadence à la même vitesse une fois qu’on cale le nose de la planche dans le flux du bateau (comme à vélo, être dans la roue)
Le point lumineux loin devant de la première équipe me guide dans leurs axes mais je vois que je sors de la sécurité du bateau qui lui maintient son nouveau cap à tribord. J’avais fait le choix de laisser la lampe-torche dans la cabine, la pleine lune éclairée suffisamment bien pour moi. Les balises et sécurités dans le camel-bag, un sifflet, ces conditions de mer d’huile tellement rares qu’insensées en plein milieu ! J’ avançais avec une sensation de liberté face à l’horizon sombre de la nuit. Quelquefois, Charley ou Sylvie sur le bateau me rappelaient à l’ordre, ma fusion avec le liquide sous la planche m’emportais un peu loin de lui, chaque coup de pagaies la planche glissait loin, je me faisais happer.
Toute personne aimant randonnée sur de longs parcours que ça soit à terre, dans les airs ou en mer, connaissent cet état de réflexion que l’on peut atteindre en pleine nature. Le mental s’échappe, la conscience prend le dessus, elle t’amène dans des contrées cachées à l’intérieur de tiroirs fermés par la mémoire sélective. On se retrouve au fond de soi-même dans l’adversité. En fait, c’est difficile de retranscrire ces sensations bien que pour beaucoup, évoluer dans un milieu naturel liquide, un élément qui peut changer rapidement et devenir hostile au milieu de rien n’est pas quotidien. Je suis en confiance sur l’eau, c’est mon élément mais j’ai également confiance dans mes expériences passées, mon lifestyle de Waterman. Se dépasser mais tenir la cadence et la distance. Contrôler son corps et son esprit, rester humble à l’écoute des signes, anticiper au mieux.
Sur l’eau quelques dauphins curieux s’approchent dans la nuit entre moi et le bateau... afin de monter les palpitations et de se réveiller de la monotonie et des douleurs corporels. Une fois, l’un d’entre eux est sortie derrière ma planche, je me suis retourné et hop il refaisait surface quelques mètres plus loin près de la coque avant du bateau.
La nuit sera longue et dans la souffrance physique pour tous les deux, mais on est heureux de vivre ça, on profite de ces moments uniques que l’aventure nous offre ne grandeur nature mais on ne quitte pas l’objectif de la course et du temps.
« Toujours le plus dur pour la fin »
Le jour s’est levée, toujours pas de connexions avec le bateau-mère. Nous pensions même que le voilier juste devant nous était les premiers ! À certains moments mes nerfs lâchent, et je pleure sans m’arrêter, à ce moment-là rejaillissent toutes les phases difficiles que j’ai vécue dans ma vie du plus jeune âge à aujourd’hui en stimulant des décharges d’adrénaline en réveillant le feu à nouveau dans mon corps comme carburant m’offrant un regain de force physique et mentale.

Nous sortons de la bulle de nuages et de fraîcheur pour apercevoir enfin les côtes et le retour du soleil et de la chaleur. J’étais mieux sous la fraîcheur à ce stade ! Le vent baisse un peu mais le plan d’eau reste clapoteux. Luc souffre et reste derrière le bateau, nous commençons à diminuer ses quarts à 30 minutes pour 1H30 pour moi Je trouve l’énergie de ramer face au vent en gardant une moyenne, le ciel s’est couvert, nous sommes dans une bulle nuageuse avec un petit crachin de pluies qui fait du bien. La planche butte sur les petits clapotis mais je relance sans cesse, nous captons à nouveaux du réseau je prends pour ces derniers kilomètres mon tel et met de la musique pour doper mon esprit. Je rame essentiellement depuis des heures du côté droit pour recoller le cap que nous avions empruntés sous le vent. Je ne lâche rien, comme un chien affamé qui va trouver son bout de viandes ! Les douleurs récurrentes ont fusionné avec mon objectif.
Ça y est! On arrive à la pointe de St Raphaël, la brume a pris possession de la vue en cachant à 50 mètres ce qui a plus loin. Je ne connaît pas du tout ces côtes, on a ramé 20h sans voir les côtes et là à 100 m des plages on ne voit rien ! Le bateau suiveur ne peut pas passer avec la quille au bord entre les îlots, il fait un détour en me disant que je devrais apercevoir une grande roue ! Que je n’ai évidemment pas aperçu de loin avec cette brume.

Comme toutes les histoires, les derniers kilomètres sont les plus longs.
Je rame latéralement près des digues, la côte avec un Back-Wash qui ne facilite pas la fin de la rame surtout après quelques heures de pagaies sur le même axe droit du corps.Les muscles crient de douleurs mais je ne diminue pas ma cadence, on joue le temps que l’on en a déjà perdu sur la traversée.
J’appelle le bateau pour me diriger sur l’arrivée et la bonne plage quand Luc me sort : - « C’est bon !! Chrono arrêté à 25h50 au passage du dernier rocher !! C’est fait, on a réussi !! ». Je diminue la cadence, le bateau abat pour me rejoindre, on prend notre temps, on se félicite et on décide de prendre la planche pour arriver en Paddle à deux sur la plage jusqu’à ce que l’on réussisse enfin à joindre la VHF l’organisation qui nous annonce notre 3em place presque irréelle vu la distance que nous avions avec nos concurrents équipés de paddles gonflables... Des doutes sur cette possibilité comme pour d’autres équipes mais l’organisation ne relèvera pas le sujet, au fond nous on sait quel a été notre traversée.

Puis, ça ne pouvait pas s’arrêter là ! La cerise sur le gâteau de cette arrivée sur la plage, lorsque les bénévoles de l’orga nous crient que le temps est stoppé entre deux drapeaux situés à 50 m de l’eau ! Je n’en crois pas mes yeux ni mes oreilles... Toutes ses dernières heures d’efforts pour gagner des minutes et perdre + de 30 minutes sur le bateau devant l’arrivée et découvrir qu’on est 3ème après la cadence et les efforts mis jusqu’à l’arrivé alors que Luc est de l’organisation… Ma joie d’arriver se mélange avec de l’amertume, une colère intérieure que j’essaie de cacher au mieux au vue de ce que j’avais vécu en franchissant cette ligne en 26h30minutes et 30 secondes..
Il me faudra la journée pour redescendre et pour me rendre compte que ce n’est pas le résultat mais plutôt l’aventure partagée qui est à garder avec tout de même une traversée Corse-Continent réussie dans ces temps pour un ancien rameur pro qui n’avait pas fait de Raid depuis 11 ans et pas touchée une rame dans cette discipline depuis presque un an avec un co-équipier sans technique préalable au départ encore moins voué à ce genre de défis. Le mental et l’adaptation dans ce résultat pour Luc comme pour moi, nous les avons relevés. Cela nous a rapprochées et scellé une amitié encore plus profonde dans la souffrance. Gros respect mon Lucky, à 55 ans de faire ça ! Il est aujourd’hui légitime de s’occuper des prochains ultra-raids en comprenant les athlètes qui s’engageront dans cette traversée car il en aura vécu une belle de l’intérieur et connait dorénavant l’esprit des Ultra-raideurs.
Quant à moi, j’attends de connaitre avec impatience quel sera mon prochain défi de dernière minute ! Mais en attendant retour sur St Jean de Luz pour préparer la saison de ma nouvelle boutique Waterman Life et dans le défi permanent des productions de mes collections.
Alexandre Grégoire_ Waterman Life Adventures. Corse- Continent à la rame. Récit by 2022©AG_watermanlife
Pour la vidéo, n'ayant pu compter sur les images pro de l'organisation presque deux mois après, voici un montage intimiste des portables de l'équipage et d'une Gopro.
Enjoy !